« Ma bibliothèque personnelle, c’est ma vie » : 3 questions à Chris Ware

À l’occasion de l’exposition qui lui est consacrée de juin à octobre 2022, la Bpi a posé trois questions à l’auteur américain de bande dessinée Chris Ware.

Photo de l'auteur américain de bande dessinée Chris Ware
Chris Ware dans les rayonnages de la Bpi / Photo © Chloé Vollmer-Lo

Vous avez spécialement créé le dessin de l’affiche pour l’exposition. Pouvez-vous nous raconter votre inspiration, votre cheminement de pensée et votre intention dans cette création ?

C.W. : J’ai essayé d’honorer la description de Renzo Piano de son projet pour le Centre Pompidou comme un « gros jouet urbain » et j’espère que les parisiennes et parisiens le reconnaitront. C’est, en quelque sorte, la façon dont le bâtiment m’est apparu quand je l’ai découvert pour la première fois, lorsque j’avais douze ans, grâce à une illustration dans un livre. Ayant grandi dans la classe moyenne d’une ville de taille moyenne au milieu des États-Unis, je n’avais jamais vu ni pensé à quelque chose de semblable auparavant. J’ai passé pas mal de temps à la bibliothèque de l’école à lire des livres d’astronomie et d’architecture périmés et, vraiment, tout ce qui me tombait sous la main, simplement pour éviter d’aller au cours de gym.

Heureusement, j’ai poursuivi cette inclinaison toute ma vie d’adulte, l’architecture, les livres et la mémoire étant tous des aspects d’une même chose, du moins si vous êtes un dessinateur cinglé.

Comment définiriez-vous la différence entre la France et les États-Unis dans leur façon de considérer le 9e art ?

C.W. : Pour commencer, en France, cela s’appelle un « art ». Les Américains l’appellent « trash » et le classent généralement en conséquence. 

Il y a en fait – d’un certain côté – un avantage certain de considérer la bande dessinée comme un effort de bas niveau, car cela maintient les dessinateurs américains dans l’humilité et les yeux du spectateur ouverts (c’est-à-dire que les spectateurs qui ne comprennent pas une peinture pourraient simplement blâmer leur ignorance de l’histoire de l’art, alors que les lecteurs qui ne comprennent pas une bande dessinée pensent que le dessinateur est un idiot).

J’ai étudié la peinture et la sculpture à l’université, mais en ce qui me concerne, les bandes dessinées reflètent plus précisément la façon dont nous nous souvenons et ordonnons le monde, rendant tout accessible en même temps grâce à de brèves rafales d’images-souvenirs distillées et superposées dans une histoire fabriqué de manière artisanale, qui est finalement plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur. Le langage de la bande dessinée naît de la lecture des images, pas seulement de leur observation, les images de bandes dessinées étant des abréviations translucides de l’expérience, de la même manière que les mots condensent l’essence de quelque chose en une idée. C’est au cartooniste (dessinateur) de prendre cette graine miniature et de la transformer en quelque chose qui s’épanouit en un art qui semble apparaître sur la page même, et qui est aussi complexe, déroutant et, espérons-le, aussi émouvant que la vraie vie.

Bande-annonce de l’exposition Chris Ware à la Bpi

Vous êtes, comme vous le dites vous-même, “a book artist” à part entière… Que vous inspire le fait d’être exposé dans une bibliothèque comme la Bpi ?

C.W. :Un livre, comme un être humain, a : 

1) une colonne vertébrale ; 2) est (encore) plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur ; et 3) peut soit vous dire la vérité sur lui-même, soit 3a) mentir.
J’essaie de prendre tout cela en compte lorsque je conçois, dessine et écris mes livres. Lire / voir un roman graphique est une expérience très personnelle entre l’artiste et le lecteur, et c’est aussi le seul art que presque tout le monde peut se permettre de posséder. Les dessins originaux présentés ici sont bien sûr uniques en leur genre, mais ils ne sont qu’une étape dans le processus ; l’objet fini et imprimé est l’art lui-même. Et c’est un art que l’on peut garder ou de jeter, on ne gagne ni ne perd beaucoup de toute façon. Comme les histoires que nous portons avec nous depuis l’enfance jusqu’à nos derniers instants de vie, ce sont les souvenirs qui comptent.

Ma propre bibliothèque est ma vie, et j’ai hâte d’acquérir des livres de la même manière que j’ai hâte d’aller dans des endroits, de rencontrer des gens ou de voir des expositions d’art. Parallèlement, j’essaie de créer des livres aussi denses et, espérons-le, aussi riches et colorés que l’expérience elle-même – tout en puisant dans cette partie de soi la plus cachée, la plus sympathique et la plus vulnérable. Sinon, à quoi ça sert ? L’art devrait rendre la vie meilleure. Et même si je ne mettrais pas mon propre travail dans cette catégorie, les meilleurs écrivains (Proust, Tolstoï, Joyce) nous incitent aussi indirectement à être des personnes meilleures. C’est quelque chose que je vise aussi, à la fois en tant qu’artiste et en tant que personne.

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Plus d’informations sur l’exposition Chris Ware à la Bpi

Publié le 09/05/2022 - CC BY-SA 4.0