Le film du mois de décembre sur Les yeux doc : Papa s’en va

Que regarder ce mois-ci sur la plateforme Les yeux doc ? Découvrez pour ce mois de décembre le documentaire Papa s’en va.

© Squawk

Synopsis

Pauline Horovitz filme son père depuis 2009. Dans ce nouveau chapitre aux accents de comédie documentaire douce-amère, le héros, ancien médecin « programmé » pour travailler, profite de sa retraite pour devenir acteur. En suivant les premiers pas de cette nouvelle vie émancipatrice, la fille-cinéaste regarde sa « créature » lui échapper…

L’avis du bibliothécaire : rire mais avec sérieux

Malgré l’image sérieuse à laquelle le cinéma documentaire est rattaché, quelques films documentaires travaillent le plus sérieusement du monde une dimension humoristique. Ainsi, la “comédie documentaire” est un sous-genre du cinéma documentaire, suffisamment rare pour être ici évoqué en parallèle des grands jalons historiques de l’humour au cinéma.

On peut prendre pour exemple fondateur l’oeuvre burlesque de Luc Moullet (La Cabale des oursins, Barres, Essai d’ouverture, etc.) car ce cinéaste inclassable aborde avec un grand sérieux des sujets qui peuvent paraître dérisoires : une visite touristique des terrils de charbon du Nord de la France, la fraude dans le métro parisien, le fait de réussir à ouvrir une bouteille de cola. Dans chacun de ces films, l’humour repose sur l’action du réalisateur qui traverse un territoire, le commente, et le présente avec sérieux devant la caméra et met ainsi en évidence la fantaisie du quotidien dans une logique de l’absurde et de la répétition. La réalisatrice Pauline Horovitz présente elle-aussi avec un grand sérieux son personnage qu’elle s’évertue à étudier comme dans un reportage scientifique. Comme les hippocampes filmés par Jean Painlevé, elle ausculte sa créature, médecin émérite à la retraite, et son évolution dans son nouveau milieu, peu naturel, celui du théâtre.

Depuis les débuts de l’histoire du cinéma, les burlesques comme Chaplin ou Keaton mettent à l’épreuve leur corps face au naufrage des objets ou des éléments avec sérieux (La ruée vers l’or, La Maison démontable…). Chaplin nous faisait rire car Charlot était un personnage en décalage avec un espace normé. Ici, ce qui peut faire sourire, c’est l’âge et le comportement du personnage qui suit des cours de théâtre avec des adultes et de jeunes adolescents. Buster Keaton a inventé un personnage au corps flexible mais au faciès impassible que l’on a d’ailleurs surnommé en France « l’homme qui ne rit jamais ». D’après son autobiographie (voir biblio), quand il était petit et travaillait au cirque, il comprit que le public riait lors de ses cascades uniquement s’il ne souriait pas. Le personnage de Papa s’en va nous fait rire justement car il ne sourit jamais. L’immense sérieux qui a caractérisé l’ensemble de son existence, dont sa très belle carrière dans le monde de la recherche et de la médecine, se confronte à des cours de théâtre où le comédien doit faire rire les autres. Ainsi, au sein d’exercices au cours Florent, notre personnage pince sans rire doit séduire une jeune femme ou feindre une dispute maritale, mais il n’y parvient pas car il entreprend les exercices avec trop de sérieux, ce qui ne fonctionne pas au théâtre, reposant sur le lâcher prise.

Au-delà du masque sérieux, la corporalité a de l’importance dans le cinéma burlesque. Jacques Tati fait rire au premier regard de par sa grande taille et ses gestes faussement maladroits. Tati avait le chic pour faire déborder des situations. En grand génie burlesque, il avait l’art de mettre un grain de sable dans les rouages du quotidien jusqu’à mener à la catastrophe. Chez Pauline Horovitz, le père s’évertue à jouer le rôle qui lui est attribué. Pour la première fois de sa vie, après une vie éloignée des clichés du médecin toujours avec un club et un cigare à la main, il joue au golf. Or cette mécanique déraille : le caddie de golf tombe au sol et le père a un swing bien maladroit. Le corps, la voix, la stature du père font aussi sourire. Sa chevelure sombre, ses grosses lunettes, ses sourcils froncés, il y a quelque chose de cartoonesque chez ce père qui recommence sa vie. Les personnages angoissés font rire au cinéma. Il n’y a qu’un dernier pas à faire jusqu’à Nanni Moretti ou même Woody Allen. Pauline Horovitz ne laisse pas de côté la psychothérapie familiale, angoisses de mort et relations enflammées avec la sœur, Suzanne, inclus. L’humour a une fonction dans le cinéma de Pauline Horovitz. Il s’agit d’une parade, un moyen de résistance face à l’inertie et à la mort. S’amuser de ses tares personnelles et familiales et les mettre en avant est au cœur de son cinéma qui ne transige pas avec l’autodérision. Quand le père traite mal sa sœur laquelle envahit le cadre de tournage et gêne le déroulement du film, la réalisatrice ne coupe pas la scène gâchée. Qui plus est, la cinéaste titille son père sur son rangement ou ses ambitions de comédiens. Il y a donc aussi le plaisir du cinéma familial, celui qui permet de dévoiler ce que l’on ne révèle pas généralement aux yeux des autres, aux étrangers de la famille. Ainsi, le syndrome d’accumulation du père lié à la peur de la mort et de la disparition, est traité au vingtième degré, le père se préparant à l’arrivée d’une guerre en cumulant conserves de légumes, chocolat et papier toilette. Cette folie ordinaire, pourtant en prise avec le pragmatisme du réel, donne une théâtralité à l’appartement du père. Il y a une frontalité, une simplicité qui ramène à la vanité de l’existence, et fait rire. Ainsi, le rapport amoureux au bazar et la théâtralité des échanges dans l’appartement sont au cœur de la comédie familiale d’Horovitz. Ce que le père n’arrive pas à faire sur scène, se lâcher, parler fort, il le fait dans son appartement. Son “salon-bureau” dans son aspect irrationnel et instable et les scènes de joutes verbales avec la sœur sont donc de grands moments de comédie documentaire et de théâtre.

Bande annonce

Comment accéder à la ressource Les yeux doc ?

Vous souhaitez avoir des nouvelles du monde et visionner des centaines de documentaires sur l’actualité, les sciences humaines et les arts ?

Depuis la Bpi : la plateforme Les yeux doc est accessible sur les ordinateurs de l’Espace Vidéo à la demande au Niveau 3, en face du bureau Arts.

Pour aller plus loin : quelques références bibliographiques

Mémoires d’une savonnette indocile

Moullet, Luc (1937-….)
Capricci, 2021

Réalisateur, producteur et critique de cinéma, l’auteur raconte son parcours, de sa formation de cinéphile à ses longs-métrages en passant par son passage aux Cahiers du cinéma.

Niveau 3 – Cinéma  – 791.6 MOUL 1

Eclats de rire : variations sur le corps comique

Mongin, Olivier
Seuil, 2002

Quelle fonction actuelle a le rire ? L’art comique, anciennement adossé à une société distinguant le haut du bas, le registre élevé du vulgaire, peut-il s’adapter à un monde où une égalisation générale de tous les registres aplanit les différences ? Quelle collectivité peut-il instaurer ? Quel impact a le passage au grand écran ? La vie de Chaplin, Keaton, Jerry Lewis, Funès ou Devos en témoigne.

Niveau 3 – Cinéma – 791.16 MON

Jacques Tati

Chion, Michel (1947-….)
Cahiers du cinéma, 2009

La vie est pleine d’hommages à Jacques Tati. Sur les plages, dans les vieux quartiers ou dans les villes modernes, on retrouve les gags qui peuplent Les Vacances de Monsieur Hulot ou Playtime, et une silhouette qui passe au coin de la rue nous fait voir, en un éclair, Mon oncle. Ce grand burlesque du cinéma, dans la lignée de Buster Keaton ou de Charlie Chaplin, a fait entrer, avec Monsieur Hulot, un nouveau personnage dans la légende de l’écran.

Niveau 3 – Cinéma – 791.6 TATI 2

La mécanique du rire : autobiographie d’un génie comique

Keaton, Buster (1895-1966)
Samuels, Charles (1902-1987) Capricci, 2014

Dans La Mécanique du rire, Keaton raconte l’enfance et la scène, l’expérience de la guerre, l’entrée dans le cinéma, le succès et le passage à la réalisation, puis le fulgurant déclin peu après l’arrivée du cinéma parlant, en passant par les anecdotes de tournage ou les astuces filmiques de la mécanique keatonienne… Cette autobiographie d’une formidable modestie est le témoignage unique d’un homme qui a traversé Hollywood, de son essor à la fin de son âge d’or.

Niveau 3 – Cinéma – 791.6 KEAT 1

L’autobiographie dilatée : entretiens avec Nanni Moretti

Moretti, Nanni (1953-….) ; Gili, Jean A. (1938-….)
Rouge profond, 2017

Le cinéaste italien, connu pour son engagement moral et politique ainsi que pour sa sensibilité aux angoisses existentielles de l’homme d’aujourd’hui, revient sur sa carrière de réalisateur, d’acteur et de producteur.

Niveau 3 – Cinéma – 791.6 MORE.N 1

Publié le 12/12/2023 - CC BY-SA 4.0