Stéphane Mercurio : « Dans mes films, c’est toujours de notre humanité qu’il s’agit »

Depuis le début des années 1990, la réalisatrice Stéphane Mercurio filme le quotidien de personnes vulnérables pour révéler, au fil de documentaires engagés, comment l’humaine fragilité fait vaciller des vies. Dans cet entretien, elle nous présente les films projetés dans le cadre de sa rétrospective intitulée « Stéphane Mercurio, la parole aux invisibles » du 10 janvier au 16 mars 2024 au Centre Pompidou.

C’est la première fois qu’il y a une telle rétrospective de vos films. Qu’allons-nous y trouver ? Y a-t-il des films rares ?

21 films documentaires ! Presque toute ma filmographie. C’est assez étrange de redécouvrir des films que je n’avais pas vus depuis 20, 25 ans, que le public connaît peu ou pas. Il y a également un documentaire radio réalisé pour L’Expérience sur France Culture, intitulé Je me suis fait la guerre

Je montre un inédit puisqu’il s’agit d’un travail en cours. Un montage d’une vingtaine de minutes d’images filmées pendant le confinement avec Tania et Bérénice, qui vivaient avec moi à ce moment-là. Tania est ma fille. Bérénice habitait avec nous. C’est l’année de leurs 18 ans, le moment du bac, le passage à l’âge adulte se profile, le moment de l’envol sur fond de confinement.

Il y a aura mon premier film, Scène de ménage avec Clémentine, réalisé aux Ateliers Varan en 1992 ! 

D’autres films sont passés vraiment très tard, après minuit dans Libre court sur France 3, comme Les Habits de nos vies, mon dernier film (2023), L’Un vers l’autre (2019), Une si longue peine (2017), Les Parisiens d’août (2017)…

Le portrait que j’ai réalisé de Didier Ruiz, n’a pas été diffusé est un quasi inédit aussi. 

Quels seraient les 4 ou 5 films que vous aimeriez faire découvrir à une personne qui ne connaîtrait pas votre travail ?

C’est assez difficile pour moi de choisir entre mes films. Mon travail autour de la prison est évidemment central. Si je dois en choisir un, ce serait À côté (2007), sans doute parce que c’était mon premier film pour le cinéma. J’ai imaginé un dispositif son, musique et photo que je réutilise ensuite dans À l’ombre de la République (2001). Peut-être aussi parce que ce ne sont presque que des femmes que je filme. J’ai noué des rapports très forts avec certaines d’entre elles. D’ailleurs la fille de Chantal, une des femmes d’À côté, est l’une des protagonistes de mon dernier film, Les Habits de nos vies. Des fils invisibles relient mes films. 

Après l’ombre (2018) est important, parce que c’est mon dernier sur la prison et le premier sur le théâtre de Didier Ruiz. C’est quelqu’un qui a compté. Quatre films sont issus de notre rencontre. 

Mon dernier film : Les Habits de nos vies. Parce que c’est le dernier et que je tente quelque chose d’assez nouveau pour moi. Je convoque des personnes sur un plateau noir avec leur « vêtement préféré ». 

Ma balade documentaire, Les Parisiens d’août, est presque aux antipodes formellement. Je filme seule, sans équipe, et commence le tournage le 1er août à neuf heures, pendant trois heures en avançant le long du canal et je reprends chaque jour à l’heure et à l’endroit où j’ai arrêté la veille. Le tournage a pris fin le 31 août à l’aube. Une sorte de défi. Avec des contraintes très fortes que je me suis donnée et une totale liberté !

Malgré leur différence formelle, c’est toujours de notre humanité qu’il s’agit.

Quelque chose des hommes est un film qui bouleverse le public peut-être parce qu’il interroge la fragilité des hommes. J’ai aussi une immense tendresse pour le petit camping de l’Ain filmé dans Quand la caravane reste. Enfin Petits arrangements avec la vie, produit par Alexandre Hallier de La Générale de production, est un film coréalisé avec Christophe Otzenberger. Il a une place particulière. Je filme un réalisateur de documentaire au travail. Il filme des patients malades comme lui. C’est son dernier film, il se savait condamné. C’est grâce à Christophe que j’avais découvert le monde du documentaire trente ans plus tôt. Je suis heureuse qu’à l’occasion de cette rétrospective on puisse redécouvrir certains de ses films dont le fameux La Conquête de Clichy. Otzen filmait avec tendresse « la vacherie du monde » comme il aimait à le dire.

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Publié le 25/12/2023 - CC BY-SA 4.0